Extrait d’une interview en 2015 de Philippe Bezzina par Christel Jacson , 
journaliste en Rhône-Alpes-Auvergne. Il parle ici de façon tout à fait juste et authentique de de ce nous pensons à BiodynamiCaval (SLEM Montbrison) du travail de thérapie Biodynamique avec le cheval  ou d’équipraticie. C’est un témoignage tres clair des apports de ces pratiques.

L’art thérapie vous a aidé à vous sentir mieux avec les autres ?

J’ai cherché longtemps ma place dans la société. J’ai exercé environ une quinzaine de métiers, et déménagé cinquante neuf fois, ne parvenant jamais à me poser et mener une existence sereine…Au moindre conflit, à la moindre réflexion sur mes comportements atypiques, sur mes manières d’être et de faire trop singulières aux yeux des « neurotypiques », je repartais… Paradoxalement, j’ai passé une grande partie de mon existence à agiter les bras pour qu’on me voit et j’ai beaucoup contraint ma nature profonde pour m’adapter, m’obligeant à ignorer mes besoins fondamentaux. Si bien qu’en 2008, malgré une très forte capacité de résilience, épuisé, je me suis complètement écroulé. Ce fut une sorte de burnout existentiel… Un arrêt brutal après cinquante années d’une fuite en avant…Pendant deux ans, je ne suis quasiment pas sorti de chez moi. Dépité par l’indifférence de la plupart des gens, harassé de fatigue, je me suis isolé. J’ai « relevé le pont levis de ma forteresse autistique » et je me suis consacré à analyser ce qu’avait été mon existence jusque-là. Je voulais comprendre, trouver des réponses. J’avais besoin de donner du sens… Alors, j’ai été voir ce qui se cachait au fond de moi-même. De façon innée, je sais donner un sens symbolique à chaque chose : les années d’analyse que j’ai effectuées m’ont permis de peaufiner mon expertise. Je savais que je devais affronter ce qui me terrifiait lorsque j’étais enfant ; ces endroits souterrains, sombres et humides… Ces eaux noires et profondes, ces régions abyssales dont on ignore ce qui s’y trouve mais qu’on ne tient pas à aller visiter… Ces régions existaient en moi : il me fallait aller les visiter et cette fois ci, tout seul, sans l’aide d’un thérapeute… Durant ces deux années, j’ai écrit beaucoup… J’ai parlé, aussi… Tout seul, aux arbres, à l’air, au vent… Seul sur mon vélo, sur les chemins de campagne, je parlais… Quand je rentrais, j’écrivais ; des heures, des nuits entières… Je pratiquais une auto art-thérapie… Tout ce qui me permettait d’exprimer ce que j’étais intrinsèquement, ce que j’avais vécu, ce que je voulais vivre, expérimenter, était salvateur, réparateur, thérapeutique. Depuis l’enfance, je me maintenais à la surface. Pour survivre et tenter de m’intégrer, j’ai appris très tôt à imiter les gestes et les comportements des autres. Mais « moi » ne s’exprimait jamais. Et « moi », avait beaucoup de choses à dire…

Et finalement, votre différence est devenue une force…

 Le syndrome d’Asperger est certes handicapant, car celle ou celui qui en est affecté, doit constamment s’adapter à un système qui lui est étranger, voire hostile et est contraint d’adopter et d’utiliser des codes qui ne sont pas les siens. Ceci n’est pas réciproque et démontre que par bien des aspects, la société est pathologique… Pour autant, l’autisme n’est pas une maladie ; c’est juste une autre manière d’être au monde qui n’est pas partagée par la majorité. On a tous notre façon d’exister. Ce n’est pas parce que les personnes « neurotypiques », sont plus nombreuses qu’elles sont plus « normales ». Je refuse cette fatalité, surtout quand elle est le fruit de décisions arbitraires guidées par les croyances, la bêtise, l’ignorance ou encore le sentiment de toute puissance que confère à quelques arrogants, un diplôme… La subversivité prend un tout autre sens quand elle devient un élément de survie… Il me fallait montrer de quoi, en tant qu’atypique, j’étais capable et démontrer les aspects surprenants de ma différence : je suis artiste de naissance, un assembleur de l’improbable, un arrangeur, un « créateur de ce qui n’existe pas ». Je ne suis pas « câblé » comme un « neurotypique ». Je n’ai pas de retenues à faire quelque chose de « fou » car je ne sais pas à quoi correspond cette notion. J’ai donc eu l’idée de « professionnaliser » ma différence ; la dévoiler, pour en montrer les avantages, les capacités qu’elle octroie, afin de la valoriser ; pour moi, bien sur ; mais aussi, à travers moi, pour toutes les personnes avec autisme… La chanteuse Björk a dit lors d’une interview : « Vous devez au monde de faire ce pour quoi vous êtes le plus doué ». Moi, j’étais doué pour percevoir les pensées et les émotions cachées des autres. L’art thérapie m’a permis d’entrainer ma sensibilité, de la maîtriser pour que je livre de moi que ce que je veux montrer… Entre moi et les autres, il y a un « objet » qui porte le nom de « différence » ; en l’utilisant à bon escient, j’ai fait en sorte que objet devienne un médiateur, une sorte passerelle virtuelle de communication avec les autres que j’emprunte pour exposer mon art et mon travail de consultant et de thérapeute. C’est l’interface que je cherchais depuis toujours, qui me permet à présent d’exploiter les aspects les plus étonnants de ma différence. Encouragé par mon Mentor, et aussi par les quelques amis que je compte et par mon fils , j’ai travaillé à créer un concept de prestations et services inhabituel et novateur : ce concept que j’ai appelé « 2Z® » et qui est désormais abrité par une association qui porte le même nom, propose un programme de repérage, d’émergence, de développement et d’exploitation des ressources, talents et autres dispositions particulières…, un atelier de développement personnel…, un programme de formation à une technique spécifique de communication entre personnes avec autisme et neurotypiques…, une art-thérapie, elle aussi spécifique…, du coaching, de l’accompagnement en faveur des parents, et professionnels confrontés aux spécificités de la personne avec autisme…, de l’information, de la formation et d’autres services et prestations qui disposent tous d’une approche et d’une pédagogie personnelle que j’ai développée et qui, bien entendu, sont très imprégnés de ma réalité objective de personne avec TSA et HPI, puisque j’en suis l’initiateur et le promoteur. Ce concept, ces programmes, sont effectifs sont également proposés à des personnes chez qui la parole est ou peut être douloureuse. En plus d’être praticien en art-thérapies et en psychologie existentielle et par extension consultant en atypisme et particulièrement en autisme et syndrome d’Asperger, je travaille en étroite collaboration avec Magali, monitrice d’équitation spécialisée en accompagnement à la médiation thérapeutique avec le cheval et qui est membre du réseau « Cheval et différence en Limousin ». C’est elle le promoteur de la rencontre « Les personnes avec autisme et le cheval : une histoire d’amour ».

Comment fonctionne la médiation avec le cheval et en quoi est-elle utile aux personnes avec autisme ?

« Le cheval est un bon maître, non seulement pour le corps, mais aussi pour l’esprit et pour le cœur », disait Xénophon. Lorsqu’on met un individu en face d’un cheval, il va automatiquement se passer quelque chose. Mais pour cela, il faut une cohérence entre les deux, un mode de communication. Par exemple, il faut que nos désirs correspondent à nos actions pour que le cheval comprenne. La personne avec autisme est socialement déficiente. Sa déficience est qualitative et concerne la communication et les interactions sociales. Le mot « autisme » est explicite : il signifie « enfermement sur soi-même ».

Quel rôle a le cheval, dans cette rencontre ?

Il représente « l’interface » de médiation ; « l’objet » qui se trouve et agit entre le « monde » des « neurotypiques » et celui de la personne avec autisme. Il est un objet médiateur vivant, qui devient lors de la rencontre un « objet médiateur/interface » un « lieu de rencontre, d’expériences et d’échanges ». En psychologie, ce processus s’appelle externalisationL’objet de relation apparaît comme un objet d’articulation entre soi et l’autre. Il révèle aussi une part de soi et de la relation qui nous échappe et qui prend forme par l’objet. Lieu de partage d’une expérience sensorielle, il devient lieu de partage d’une pensée, un entre deux sujets dont les psychés peuvent enfin s’appareiller et s’accorder. L’externalisation de la rencontre dans l’objet concret rend possible ce qui semblait trop risqué au-dedans » (2). En ce sens, cette relation est thérapeutique. En 2009, la psychologue clinicienne Anne Lorin de Reure a suivi pendant un an, une fillette de 6 ans avec autisme qui pratiquait l’équitation ; au cours de son étude, elle a observé une diminution significative et mesurable (mesurée) du retrait et des stéréotypies, une meilleure acceptation des changements, une meilleure tolérance à la frustration, une émergence de jeux symboliques et une émergence d’une « enveloppe corporelle ». Ce n’est donc pas le cheval qui est thérapeute, mais ce qu’il apporte en tant que support à la communication, à l’échange.Par l’intérêt des affects que le cheval va déclencher, la personne avec autisme va vouloir « aller vers » l’objet « producteur », « distributeur » et « lieu » de ses affects. Pour cela, elle va mobiliser des ressources sous-jacentes dont elle-même ignorait certainement qu’elle en disposait. Par cette « découverte », elle va structurer un chemin qui va de sa bulle vers le monde extérieur. Un chemin qu’elle pourra réemprunter, dans un premier temps, à chaque fois qu’elle sera en présence de l’objet de ses affects et plus tard, en faveur d’autres objets qu’elle désignera selon ses désirs et élans spontanés… Rien n’est donc magique : c’est un lent et long « balisage », un accompagnement vers le monde… L’équitation est une expérience. Elle structure un chemin qu’on poursuit à chaque fois qu’on va au club. Personnellement, les chevaux m’ont considérablement aidé à prendre confiance en moi. Ma rencontre avec Flipper, ce que nous avons accompli ensemble, m’a permis de prendre conscience de mon potentiel, que je pouvais être en lien avec le vivant. Notre relation a jeté une passerelle entre moi et les autre et m’a aider à ancrer des affects… Je suis certain que la rencontre avec les chevaux fait de nous des meilleurs humains.

Quels sont les ressorts psychologiques de la relation au cheval ?

Le cheval possède un encodage génétique bien plus ancien que celui de l’humain : 60 millions d’années pour lui, 4 pour nous ! On ne va donc pas déstabiliser ses fondations.Il possède un excellent équilibre, un fort instinct grégaire, de grandes aptitudes de visualisation spatiales, un sens aigu de l’observation et une exceptionnelle capacité de perception qui lui permet de détecter de micros signes… Pour l’équidé, c’est dans l’ordre des choses de tout épier, surveiller et d’agir en conséquence. Qualitativement et quantitativement, les acuités sensorielles du cheval sont sans communes mesures avec celles de l’humain neurotypique. Le cheval est un support privilégié pour travailler sur soi. Il est un formidable vecteur et permet la circulation émotionnelle. L’équitation, c’est de la pure psychologie : on rencontre le cheval, on vit une fusion et la séparation nous permet de mesurer l’étendue de l’expérience vécue. La relation au cheval agit sur les trois concepts nécessaires au développement de l’enfant, sur lesquels a beaucoup insisté le pédopsychiatre Donald W.Winnicott : le handling, qui est la manière adéquate de manipuler son enfant dans un environnement de confiance, le holding qui est la représentation psychanalytique du support sur lequel le « Moi » en construction de l’enfant, va pouvoir s’appuyer, notion qui se repère notamment dans les soins que l’enfant reçoit, et enfin, le sentiment d’omnipotence ou sentiment de toute puissance, dont l’enfant fait l’expérience quand il prend conscience de l’intérêt qu’il suscite quand il pleure, s’exprime ou fait un caprice… Quand il réalise ces expériences, il crée des ressources dans lesquelles il peut puiser ; alors l’enfant est suffisamment confiant pour se détacher de sa mère et explorer le monde. Par ce qu’elle propose dans sa relation au cheval, l’équitation et/ou la médiation thérapeutique avec le cheval, peut favoriser la réparation des manques qu’on a vécus dans ces trois domaines. Psychanalytiquement, le sentiment de puissance et de liberté qu’on éprouve en présence du cheval et dans notre relation (portée ou non) avec lui, se rapporte à la notion de l’image du père. L’image de la mère est rappelée par la chaleur, le portage qui produit un bercement, les soins apportés au cheval et la douceur dont il fait preuve envers nous. Et enfin, le fait de vivre une expérience dans laquelle on constate que ce sont nos propres intentions et gestes qui conditionnent les résultats obtenus, se rapporte à l’omnipotence. Quand on est présence d’un cheval, qu’on ait de l’autisme ou non, on est en relation avec un corps énorme, chaud et réactif qui rappelle la vie intra-utérine. Il n’y a plus d’autisme à ce moment-là. C’est de la conscience pure ! Il convient alors de cultiver ce sentiment, ce vécu, pour progresser.

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2) Les processus psychiques de la médiation, 2002 – Guy Gimenez (Professeur en psychologie clinique et psychopathologie à Aix-Marseille-Université).

Philippe Bezzina est un « touche à tout » : artiste, créateur, manipulateur de matière, penseur, praticien en art-thérapie (membre de la Société Internationale de Psychopathologie de l’Expression et d’Art-Thérapie – SIPEAT – depuis 1996) et également praticien analyste en psychologie existentielle et depuis peu, consultant en autisme et formateur en communication spécifique. Ancien cavalier propriétaire passionné par les chevaux, il possède la double particularité d’être né avec un syndrome d’Asperger associé à un HPI (haut potentiel intellectuel). Philippe a témoigné de son expérience lors d’une récente rencontre organisée par le réseau « Cheval et différences » et le Comité régional d’équitation du Limousin. Elle portait le joli titre « Les personnes avec autisme et le cheval : une histoire d’amour ».